Changement climatique
Les conséquences du changement climatique
Quel statut pour les réfugiés climatiques ?
Ils ne sont que 11000, mais personne ne veut les accueillir. A cause du réchauffement climatique, le niveau de la mer monte et menace inexorablement les Tuvaluans. L’archipel sans relief de 26 km² voit approcher à grand pas le jour de son engloutissement. Isolée dans le Pacifique, la micro-nation perd des terres cultivables à vue d’œil. D’après plusieurs ONG dont les Amis de la terre, les habitants du Tuvalu seront, d’ici deux générations au plus, les premiers réfugiés climatiques. Au-delà du drame local, se pose la question plus générale du sort des déplacés environnementaux. Car Tuvalu est l’arbre qui cache la forêt : bien d’autres populations sont ou seront touchées, notamment en Afrique (Darfour) mais également aux Etats-Unis (les déplacés de l’ouragan Katrina) ou en Europe (Pays-Bas).
Le premier débat, juridique, concerne la dénomination de ces personnes victimes du changement climatique. « La définition de “réfugié” de la convention de Genève ne peut s’appliquer qu’à des citoyens victimes de persécution » explique Chloé Vlassopoulou, maitre de conférences en sciences politiques à l’université de Picardie et responsable de l’axe « Réfugiés environnementaux ? » du réseau scientifique TERRA (Travaux, études et recherches sur les réfugiés et l’asile). Il en va de même pour la demande d’“asile” qui suppose une persécution. De plus, le déplacement de population a souvent lieu à l’intérieur même du pays. Il est donc incorrect de parler de “réfugiés climatiques”. « Le terme de “déplacés environnementaux” est plus juste, tout aussi parlant et rend bien compte du malheur des populations » ajoute François Gemenne, chercheur au centre d’étude de l’ethnicité et de la migration à Liège, et enseignant à Sciences Po Paris. Le concept de déplacés n’est pas nié, car il existe depuis toujours, mais il reste indéfini.
Une dénomination, mais pas de statut
Aujourd’hui il n’existe pas de statut officiel des déplacés environnementaux. On sait quelles sont les populations touchées, mais aucune définition stricte ne les réunit. « Nous sommes dans une période où la convention de Genève fonctionne mal, les frontières se ferment et on rechigne à reconnaitre les réfugiés politiques. Si on créé le statut de réfugié climatique, qui pourrait s’appliquer à des millions de personnes, on va vers le démantèlement de la convention » explique Chloé Vlassopoulou. Aucun texte ne statue donc sur ces populations déplacées. « Il n’y a que quelques paragraphes dans chaque convention pour prendre en considération de façon indirecte la souffrance des gens liées à la pollution » affirme Chloé Vlassopoulou.
Exclus donc de la convention de Genève, ils ne rentrent dans aucune catégorie prédéfinie. « Les conflits créent des problèmes environnementaux, et vice versa. Il faut donc établir le facteur qui provoque le déplacement, qui sera l’argument à avancer pour demander l’asile » explique François Gemenne. On se dirige plutôt vers la définition de plusieurs statuts de déplacés environnementaux, selon la cause de la migration : catastrophe industrielle comme à Bophal, changements environnementaux liés à des conflits armés, conséquences de grands travaux publics volontaires, ou changement climatique lors du tsunami en Asie du sud-est. Là encore, ce sera aux juristes de trancher.
Reconnaitre le problème pour trouver une solution
Ce flou juridique peut expliquer que l’Australie ait refusé la demande d’asile groupée des Tuvaluans, à l’instar de la Nouvelle-Zélande. Pas de persécution, pas de droit d’asile. « Et encore, le gouvernement australien précédent avait une politique d’immigration très protectrice. Aujourd’hui il accepte d’accueillir les immigrés qui ont un contrat de travail », explique François Gemenne. Pour les déplacés climatiques, si un statut leur est accordé, la difficulté sera de prouver la cause environnementale de leur exil. « Plusieurs critères sont liés : politique, économie, environnement. De plus en plus de guerres sont déclenchées par des bouleversements climatiques » insiste Chloé Vlassopoulou. Ceux qui seront déclarés “déplacés environnementaux” bénéficieront alors d’un statut complètement nouveau, très différent de celui des réfugiés politiques. « Dans ce cas d’exil, il n’y a pas de retour possible » rappelle François Gemenne. « Il s’agit souvent de populations qui veulent rester dans la même zone géographique, et garder le même mode de vie. On ne peut donc pas leur imposer le lieu de migration ». Accueillir les Tuvaluans dans les villes européennes contre leur gré serait ainsi impensable.
Un fonds pour limiter les déplacements liés au climat
De même, il serait incohérent d’imposer des quotas d’acceptation des réfugiés climatiques aux pays du Nord. « La France pourrait-elle ouvrir ses frontières pour accueillir ses voisins hollandais, bientôt noyés, sous prétexte qu’elle pollue ? » ironise Chloé Vlassopoulou. « Les enjeux sont globaux et doivent être débattus à l’échelle mondiale ». Pour sensibiliser les pays à ces catastrophes humanitaires à venir, les colloques se multiplient, et les débats prennent forme. L’idée d’un fonds européen ou international, en liaison avec le principe de pollueur-payeur, est à l’étude. « En libérant des fonds pour limiter le réchauffement, on réduira les flux. On peut également soutenir les populations en favorisant leur adaptation, pour leur éviter une migration contrainte » propose François Gemenne. La Commission européenne cofinance un projet de recherche sur les liens entre changements environnementaux et migrations forcées dénommé EACH-FOR (Environmental change and forced migration scenarios). « Tant qu’on n’étudie pas et qu’on ne reconnait pas le problème, on ne pourra pas le résoudre » conclut Chloé Vlassopoulou.
Mis en ligne le : 11/03/2008
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